Leur première saison avait surpris et intéressé, avec des audiences plutôt bonnes. Les deux séries montraient que la production télévisuelle française était capable de prendre des initiatives originales, de s’aventurer sur des terres nouvelles tout en préservant une certaine qualité. On a pas mal attendus leurs deuxième saisons, lancées en même temps mi-septembre et qui s’achèvent cette semaine. La qualité est-elle au rendez-vous ? Les hommes de l’ombre La première saison était honnête mais pas exempte de défaut dont le principal était son rythme. Puisqu’il fallait faire tout tenir en 6 épisodes, les péripéties s’enchainaient parfois au mépris de la réalité. De même, les personnages étaient forcément un peu caricaturaux, ne pouvant se développer sur le temps long. Mais c’était la première vraie tentative d’une série politique française, là où les anglais ont déjà produit d’excellente choses comme House of Cards (la version originale de 1990) ou Secret State (avec Gabriel Byrne, diffusé au printemps sur Arte). Soyons clair, on est encore loin d’A la Maison blanche, LA série de référence dont j’ai déjà parlé. Le style reste éloigné de la politique-spectacle à l’américaine, tant par le jeu (modéré) des acteurs que par les décors, à la fois plus chics (les ors de la république) et plus intimistes. L’ambiance générale est plus proche de Borgen, signe qu’il y a sans doute une « patte » européenne. La série française reprend aussi à son prédécesseur danois l’importance de la communication politique (donc des spins doctors, personnages incontournables) et les interférences entre vie politique et déboires privés. Enfin, nouveauté de cette saison, la production a fait un vrai choix politique puisqu’après une candidate centriste (dans la première saison), c’est désormais au sein d’une majorité socialiste (et de son opposition de droite) que se déroule l’intrigue. Mais aller plus loin dans la comparaison serait injuste car les hommes de l’ombre n’aborde guère les sujets de fond qui avait fait la réputation de Borgen ou A la Maison blanche. La production française lorgne plus vers une série US de moindre qualité, Scandal, en insistant sur les jeux de pouvoirs plus que sur les enjeux. De même, les omniprésents conseillers en communication (dont la société Pygmalion !) ne sont pas des membres du staff mais des intervenants extérieurs grassement payés et aux méthodes pas toujours orthodoxes. Brefs des mercenaires dont le poids a malheureusement été crédibilisé par le quinquennat Sarkozy (et ce qu’on en découvre encore aujourd’hui). Ces nouveautés n’ont pas fait disparaître les défauts ressenties dans la première saison. Personnage central de la série et spin doctor conseiller du président, Bruno Wolkowitch est parfois fatiguant à force d’être désabusé. Le rythme est toujours en cause, qui fait se succéder les péripéties (alerte spoiler : la femme du président est bipolaire, un intermédiaire louche se révèle tenir tout le monde) à une fréquence qui frise le ridicule. Des amis ont été rebutés par ces faiblesses ; je préfère ne pas bouder mon plaisir, car il y a quand même peu de séries qui parlent sérieusement de politique et celle-ci n’est pas si mal (et Télérama est du même avis que moi, ça rassure ;-).
Ainsi soit-il A sa sortie, la série avait provoqué une levée de bouclier dans les milieux catholiques bien-pensant qui n’y voyaient que caricature et invraisemblance. Sans se rendre compte de l’évènement considérable que représentait la première fiction française (pour ne pas dire européenne) qui plaçait au cœur de son intrigue le sujet religieux[1]. D’autant plus considérable qu’elle a rencontré un succès suffisamment important pour qu’une saison 2 soit produite et qu’Arte en fasse une large publicité. Et la série continue de faire débat dans le milieu catholique puisqu’elle parle de lui. Si on ne peut contester le catholicisme comme exculturé[2], il continue d’occuper une place particulière dans la société française, ce dont cette série est un bon révélateur. Le propos sur notre religion y est équilibré, ni discours à charge (comme on le sentait parfois poindre dans le documentaire Corpus Christi également diffusé sur Arte), ni promotion. Si notre Foi suscite toujours de l’intérêt et du débat, il est largement dépassionné et nous devons nous en féliciter. On n’imaginerait pas l’équivalent dans une école rabbinique ou autour d’imams. Mais est-ce une bonne série ? Une bonne partie des reproches sont liés au simple fait qu’il s’agit d’une fiction. Comme telle, elle est obligé de concentrer sur peu de personnages et dans un temps réduit des caractères et des débats plus étalés dans la vie réelle. Par facilité, le scénario contient quelques invraisemblances, mais elles restent mineures. A l’inverse, il montre des choses que les bons catholiques refusent de voir, comme les luttes de pouvoir interne à l’épiscopat. Notre ami Philippe Clanché a écrit sur son blog une critique très positive (reprise en partie dans la lettre hebdo de Témoignage Chrétien) que je partage largement. Extraits.
S’ils ont voulu montrer l’humanité et les questionnements de ces jeunes, les scénaristes ont également opéré des choix dans leur regard sur ce monde étrange. Il s’agit bien pour eux de réaliser un film de télévision et de capter l’intérêt de tous, pas de proposer une vision documentaire sur les futurs prêtres. Les médias catholiques dénoncent des partis-pris [dont] « une surexploitation des interrogations sexuelles et affectives ». […] La sous-estimation de la question serait une faute plus grave que sa minimisation… en plus d’une erreur stratégique des scénaristes. Nous partageons davantage la deuxième pique, [dépeindre] « une hiérarchie catholique aux abois, composée d’êtres ambitieux, vils et calculateurs. » […] Heureusement, dans Ainsi soient-ils comme à Rome, les temps sont en train de changer. Ce n’est pas un hasard si le nouvel homme fort de l’épiscopat français, un provincial dépassé par le pouvoir et apparemment naïf, se révèle rapidement d’une autre trempe que prévu. Et ose dire non à Rome comme prendre le contre-pied de ses conseillers… En criant trop à l’exagération, le risque est de s’attaquer surtout au miroir (forcément déformant) que représente l’œuvre de fiction. Car au-delà de la tentation, réelle, de « se payer » l’Église catholique, les scénaristes ont raconté leur perception du corps ecclésial. […] Au crédit des auteurs, le bon visage de l’Eglise catholique de France est assez bien présent à travers la grande générosité des jeunes personnages présentés.
Pour ceux qui ne les auraient pas vues, les séries sont disponibles en vidéo à la demande (payante) et en DVD. [1] Les séminaristes pouvaient s’appuyer sur le précédent de Louis Page, prêtre itinérant en quête spirituelle sur France 2, mais il n’était qu’un héros récurrent. [2] C’est-à-dire comme quelqu’un de totalement étranger et inconnu pour une partie de la population.