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Libre de le dire ?

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A l’issue du Synode National à Sète, l’Église protestante unie de France (EPUdF) adoptait dimanche 17 mai un texte de 4 pages, “Bénir”, ouvrant la possibilité de bénédictions liturgiques aux couples de même sexe. Dès le lendemain, le Conseil National des Évangéliques de France (CNEF) décidait de condamner la décision de ce Synode, via un communiqué, ainsi que dans des interviews données à la presse. Une attitude qui a laissé Pierre Collas, chrétien évangélique, dans la tristesse et l’interrogation sur sa liberté d’opinion.

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Fermer la porte au dialogue

Ce qui frappe en premier lieu dans ce communiqué, ce sont des mots très forts. En réaction au Synode, le Conseil National des Évangéliques de France (CNEF) parlait de “décision consternante”, de “choix contestables”, de condamnation “sans équivoque”.

Dans une interview sur Phare FM reprenant la même trame que le communiqué, le président du CNEF Étienne Lhermenault parlait même de “facilité”, de “faire peu de cas” de la Bible et de la grâce, autant de manières de donner l’impression que ce texte du Synode avait été adopté à la légère, sans se rendre compte des enjeux. Une petite phrase semblait destinée à faire mouche, prête à être reprise dans les titres d’articles: “promouvoir une grâce à bon marché”. C’est un magnifique oxymore puisque la grâce, les protestants le savent bien, est gratuite.

La fin du communiqué laisse quant à elle un goût amer. “ La décision de l’Église Protestante Unie marquera de façon négative les relations qu’elle entretient avec les protestants évangéliques et compliquera aussi ses relations avec les autres Églises.” Cette phrase ne ressemble-t-elle pas un peu trop à celles que l’on utilise quand on cherche à manipuler par la culpabilisation ?

Et n’est-il pas paradoxal de dire que l’EPUdF aurait dû écouter ses frères évangéliques et en même temps quelques lignes plus haut sous-entendre qu’elle s’était laissée aller à “simplement suivre les tendances de la société” ?

Le texte du Synode, “Bénir”, est plus large que la seule question de la bénédiction des couples de mêmes sexes mariés. Le CNEF rappelle brièvement que l’EPUdF a fait tout un travail sur le concept de bénédiction, mais le balayant d’une seule phrase, écrit : “Faire de la bénédiction un simple accompagnement de la volonté des personnes demandeuses au lieu d’en faire une occasion pastorale de découverte, avec elles de la volonté de Dieu.”

Je me suis donc décidé à aller lire ce texte du Synode, pour vérifier de mes yeux qu’il se fourvoyait dans une telle perversion du message biblique, probablement excusable en partie par la précipitation qui lui avait donné naissance. C’était loin d’être une mauvaise idée, puisqu’à la différence des relecteurs du CNEF, j’y ai découvert un texte tout en dialogue et plein de précaution, très enrichissant en effet sur le geste de bénédiction, mais aussi capable d’affirmer des convictions fortes.

Je me suis dit alors que c’était peut être le CNEF qui avait lu un peu vite, puisque je trouvais que l’un des amendements répondait très précisément à l’accusation de ces derniers :

“2.1. En nous redisant l’amour de Dieu manifesté en Jésus‐Christ, la grâce de Dieu signifiée par la bénédiction nous décentre de nous‐mêmes et nous libère de tout souci d’autojustification. Elle nous appelle à laisser cet amour transformer nos vies pour les mettre au diapason de l’Évangile. Ainsi, selon les textes bibliques, la bénédiction est à la fois accueil, promesse et envoi ; ne retenir qu’un seul des trois pôles ne rendrait pas compte du mouvement même de la bénédiction.”

Depuis lors, je suis travaillé par la question suivante : comment donc le CNEF peut-il se permettre de condamner en 24h un travail dans la continuité d’une démarche sur les gestes initiée en 1999, et qui est passé par un temps de consultation de 18 mois durant lequel les 500 paroisses de l’EPUdF ont pu prier, lire les textes bibliques, débattre, et chercher le discernement de l’Esprit Saint de la même façon que l’auraient fait des Églises évangéliques ? (Ceux que cela intéresse pourront aussi retrouver ce texte de Frédéric Rognon, rapporteur au Synode, sur les enjeux et l’élaboration du texte final)

Tous les éléments mentionnés ci-dessus m’inquiètent quant à la capacité de dialogue du CNEF, cet organe se voulant représentatif d’une partie du protestantisme. Par leur violence, la déformation et le dénigrement affiché, ils contreviennent aux propres principes déontologiques du CNEF (notamment “l’interdiction de toute démarche qui viserait à discréditer le travail d’une Eglise ou d’une œuvre” ). Mais il semblerait que ces principes ne s’appliquent qu’entre ses membres, et l’EPUdF n’en fait pas partie.

Quel dialogue au sein du CNEF ?

Une autre question m’effraie encore plus: au nom de qui parle le CNEF ? Si je suis membre d’une association partenaire du CNEF, si je fréquente des églises qui lui sont affiliées, le CNEF représente-t-il ma voix ?

Le communiqué mettait aussi en exergue cette phrase : “ Tous les protestants n’approuvent pas cette décision.” Suivant l’exemple, selon ses propos, des premiers Réformateurs, le CNEF se tenait de rappeler qu’il représente 70% des évangéliques représentant 70% des protestants en France. A certains moments, suivant les formulations on aurait presque l’impression qu’il peut s’exprimer au nom de tous les évangéliques.

Cette question de la représentativité du CNEF est en elle-même floue, tout comme le CNEF n’est pas l’équivalent évangélique de l’EPUdF. Le CNEF se situe à un autre niveau, tout comme la Fédération protestante de France, dont l’EPUdF est membre, (et qui elle n’a publié aucun communiqué). Leur rôle est de rassembler les unions et fédérations d’églises ensemble, le CNEF se présentant comme une plateforme commune pour les unions d’Églises les représentant dans certains débats publics. Ces unions d’églises, des fois les Églises elles-mêmes étant souveraines pour décider de leur doctrine, le CNEF n’a en réalité aucune autorité pour déterminer une juste position que tous les évangéliques devraient suivre. Acceptent-elles cette prise de position en ces termes ?

Suis-je “libre de le dire” ?

Ainsi quand le CNEF déclare que l’homosexualité est une pratique “condamnée sans équivoque par la Bible”, au nom de qui parle-t-il ? Certainement pas au nom de tous les théologiens protestants, pas même au nom de toutes les églises évangéliques. Il exprime peut-être une voix majoritaire en France, mais n’offre pas particulièrement de débat pour que puisse s’exprimer un véritable dialogue sur la position des évangéliques vis-à-vis de l’homosexualité.

En tant que protestant évangélique qui ne considère pas l’homosexualité comme un péché, je base moi aussi mes convictions sur les textes bibliques. J’espère avoir un droit d’expression au sein de ce Conseil, lui qui en janvier avait lancé une grande opération de communication “Libre de le dire” pour défendre la liberté de parole dans une société laïque.

Libre de le dire, même à l’Église ? Le CNEF soutient-il donc comme il le promet mon droit d’exprimer paisiblement même en son sein une autre position, sans que je risque les mêmes condamnations immédiates que l’EPUdF ?

Quelle cohérence gardons-nous ?

Ma dernière interrogation porte sur le témoignage que nous laissons : si le CNEF se défend bien d’être homophobe, pourquoi ne se donne-t-il pas les moyens d’agir contre ce mal qui ronge nos églises avec au moins autant de motivation que celle qu’il a mise à dénoncer “la Théologie de la prospérité” ?

Le CNEF soutient que ses Églises ont le souci d’accueillir toutes les personnes, sans pour autant cautionner leurs actes, mais nous aimerions voir des avancées concrètes pour l’accueil inconditionnel dans nos Églises. Quels engagements ont été pris ? Quel accueil est pratiqué concrètement ? Car en l’absence de témoignage, ce sont trop souvent les actes d’homophobie qui marquent plus les esprits.

Une autre pensée sera peut-être utile pour l’avenir. Face à la critique trop entendue que ceux qui font évoluer leur Église cèdent au libéralisme, aux tendances de la société, et voient leurs rangs se vider, il faut se rappeler aussi l’importance de la cohérence. Si nous gardons le même niveau de dialogue, si nous ne montrons que fermeture face aux sujets qui intéressent notre monde, il est possible que nos Églises aussi se vident, et les premiers à partir seront les jeunes, qui ne comprendront pas pourquoi nous ne pratiquons pas l’amour, l’accueil et l’écoute que nous prêchons.

En attendant, il est probablement sage que toutes les associations et Églises membres du CNEF se posent aussi la question de ce qu’elles laissent dire en leur nom.

Pierre Collas

Le texte du synode

Le communiqué de presse du CNEF

Les principes déontologiques du CNEF

Le texte de Frédéric Rognon

Campagne Libre de le dire

Le livret sur la théologie de la prospérité

 



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